Frog Forest. La jungle, le domaine des fauves, des perroquets, des grenouilles...
... Et de Blanche.
Blanche qui bondissait d'arbres en champignons, crochetant une branche, attrapant une liane. Pour la centième fois, elle avait essayé de donner de la nourriture à un tigre. Celui-ci l'avait poursuivi quelques dizaines de secondes sur la terre ferme avant qu'elle ne l'entende plus courir. Haletant à peine, l'hybride sauta sur le sol et s'accroupit, ouvrant grand ses oreilles et reniflant à intervalles réguliers pendant quelques minutes, pour être certaine qu'il ait abandonné. Puis elle se redressa et calma les battements de son cœur.
Pour la centième fois, elle se promit de ne plus jamais recommencer.
En trottinant entre les champignons géants couverts de mousse et de lianes, elle mangea les morceaux de fruits géants destinés à la grosse bête. Seules ses oreilles pivotant dans tous les sens trahissait sa concentration sur son environnement. D'un coup, elle s'arrêta, la bouche ouverte, une jambe encore en l'air. Puis, arborant un grand sourire, elle retint son excitation et grimpa dans un arbre. À l'odeur, elle repéra ce qu'elle soupçonnait déjà et partit souplement, se coulant silencieusement entre les branches.
Il y avait quelqu'un. Tout près.
Il cherchait à se faire le plus discret possible, mais il ne pouvait échapper à l'ouïe prodigieuse de Blanche. C'était une des choses comme elle, qui marchaient à deux pattes et qui venaient parfois dans la forêt. Elle avait pu jouer avec certains d'entre eux. Ils étaient drôles, il pénétraient dans la forêt sans même savoir marcher correctement. Mais ils avaient tendance à toujours transporter des choses dangereuses avec eux, ainsi avait-elle toujours joué à distance, bien à l'abri dans un arbre.
Celui-ci allait-il agir comme les autres?
En guise d'ouverture du jeu, elle commença à faire un peu de bruit. Bruissements de feuilles par-ci, craquements de brindilles par-là... En voyant son nouvel "ami" s'immobiliser, elle gloussa, passant aussitôt sur un autre arbre. La repérer devenait quasiment impossible. D'un coupe, elle s'arrêta, réduisant sa respiration à un battement d'aile de libellule.
C'était au tour de son compagnon de jeu.

Son camarade, qui se trouvait être une camarade, eut l'air de passer son tour. Se faisant la plus discrète possible, elle reprit sa marche, presque comme si de rien n'était. Cette fois, Blanche n'avait pas affaire à un aventurier bourrin qui se baladait partout avec un gros fusil... Elle, elle avait l'air désarmée. Et plus intelligente, surtout. Rester immobile et écouter était la bonne solution. Un point pour l'adversaire!
Passant à la vitesse supérieure, l'acrobate reprit ses pirouettes, de plus en plus près. La forêt bruissait de partout, la rapidité de Blanche étant prodigieuse sur ce terrain-là. Elle crocheta une branche haute sur l'arbre le plus proche de sa camarade de jeu, fit un petit tour, entraînée par son élan, et finit par se réceptionner accroupie. Écartant les feuilles, les oreilles pointées vers l'avant, elle observa l'hybride attentivement, un genre de canidé noir avec quelques étranges mèches argentées, en laissant seulement apparaître ses yeux. Elle avait l'air d'avoir le même âge que l'hybride blanche, ce qui ne la choquait absolument pas. Elle gloussa légèrement, trouvant drôle le fait que l'hybride noire tourne la tête dans tous les sens pour tenter de la trouver. C'était elle la plus forte, ici! C'était son royaume... L'hybride intruse leva la tête, croisant son regard argenté avec le sien, bleu céleste. Aussitôt, Blanche bondit vers un arbre en arrière, prête à bondir à terre et à courir si l'hybride la suivait. Elle adorait jouer à chat! Elle gagnait toujours, à ce jeu-là, même ses bottes fabuleuses étaient inutiles!... Même si elle avait une fâcheuse tendance à perdre ses adversaires dans la forêt... Ce qu'elle n'avait absolument pas conscience, en bonne gamine qu'elle était.

Le sourire de Blanche s'évapora lorsque la louve noire sortit son épée. Pour elle, ça se rapprochait d'une sorte de longue griffe brillante. Elle ne savait pas ce qu'était une épée ni à quoi ça pouvait servir, mais elle savait que les griffes, c'était dangereux. De plus, la louve arborait un air concentré, pas franchement furieux contre elle... Comme un chasseur traquant une proie. Et les proies, ça se faisait manger par les chasseurs.
Comme tout félin sauvage qui se respecte, Blanche feula comme une enragée, agrippée à sa branche. L'épéiste parut étonnée, mais ne s'arrêta qu'au pied de l'arbre. La sauvage grimpa un peu plus haut, sans arrêter de cracher et feuler contre la manieuse de griffe géante. Elle faisait le gros dos et sa queue se balançait nerveusement, imitant les fauves en colère, les bêtes dont elle se sentait le plus proche. En parlant de ça, la louve lui ressemblait beaucoup. Elle pouvait marcher sur deux pattes, attraper des objets avec ses mains, elle avait de la fourrure et des grandes oreilles... La curiosité et la certitude qu'elle était en sécurité sur sa haute branche finirent par la calmer. Ca faisait longtemps qu'elle n'avait pas utilisé le langage qu'elle connaissait depuis qu'elle s'était réveillée ici, mais elle n'avait pas tout oublié.

-Uuuuh, euuh... Bonjour? Tu, euh, tu comprends?

Les rares fois où elle avait tenté de communiquer avec des deux-pattes, ils l'avait envoyé balader. Mais eux, ils avaient peur, ce qui n'avait pas vraiment l'air d'être le cas de son "amie". Ne s'attendant toutefois pas à une réponse, elle fut surprise d'entendre la voix de la louve...

La féline faillit déraper et s'écraser au sol lorsque la louve répondit. Elle n'avait pas vraiment l'habitude qu'on lui parle amicalement dans sa... "langue maternelle". Elle passa les dix secondes suivantes de silence à se forcer à bouger. Elle bondit de sa branche et atterrit sur ses pieds à deux mètres de la louve. Puis elle se releva, un grand sourire plaqué sur le museau.

-C'est génial! Je n'avais rencontré personne avant qui me parle gentiment!

Lorsque Jeme lui demanda qui elle était, la féline resta un moment immobile. On lui avait déjà posé (ou hurlé) cette question, et elle s'était amusée à se trouver des noms pour le moins... originaux, mais elle n'y avait jamais réellement pensé. Discrètement, elle jeta un regard à son bras, fit rapidement un choix et répondit, sans se séparer de son sourire:

-Je m'appelle Blanche! Sinon, je ne sais pas vraiment, je me suis juste réveillée dans la forêt. Et toi, comment tu t'appelles? Et d'où tu viens? Je ne t'ai jamais vu, avant! Mais viens, ce n'est pas sûr de discuter comme ça en plein milieu de la Forêt! Figure-toi que je viens juste d'échapper à un tigre, et que...

La féline, Blanche donc, attrapa la main de la louve sans plus s'occuper de son épée acérée, et se mit en route en trottinant, tout en racontant sa vie.
En arrivant devant une grotte à demi dissimulée par la végétation, l'étrangère en savait autant sur Blanche qu'elle-même. Poussant un soupir de contentement, elle s'assit en tailleur sur un gros coussin de mousse, et re-fixa son attention sur la louve. Celle-ci n'avait vu Blanche que dans l'ombre ou de dos, et pouvait maintenant l'observer à loisir. Dans son short en jean déchiré et son T-shirt gris, à blablater comme une fillette, on pouvait difficilement imaginer qu'elle vivait dans une jungle. Les deux hybrides se trouvaient dans un des abris de Blanche. Il ne faisait pas vraiment sombre, car un gros trou dans le "plafond" laisser passer la lumière à flots. Juste en dessous, un bassin accueillait l'eau de pluie avant que celle-ci ne se déverse à l'extérieur comme un petit ruisseau, pendant le mauvais temps. Les parois étaient couvertes de fissures, de cachettes et de plantes vertes. C'était le printemps, et des fleurs aux couleurs flamboyantes embellissaient la caverne. L'odeur était également... renversante.
Voyant que la louve avait l'air nerveuse, Blanche lui sourit et tenta de la rassurer:

-Tu n'as rien à craindre ici, les autres savent quand je suis là.

Quand elle disait "autres", elle voulait dire les animaux, qu'elle considérait comme des habitants de la forêt au même titre qu'elle, bien qu'elle ne sache pas que tout le monde n'avait pas la même perception des choses. Sa curiosité repointant le bout de son museau, elle reprit ses questions:

-Alors, d'où est-ce que tu viens? Comment tu t'appelles? Pourquoi tu es venue, si tu ne vis pas ici? C'est pas le meilleur endroit pour se promener, haha!

Blanche faillit reprendre ses questions en même temps que la louve ouvrait la bouche, mais celle-ci s'interrompit et pointa sa griffe noire de tout à l'heure, qu'elle n'avait toujours pas rangée, sur la féline, immobile, la tête penchée sur le côté. Son "amie" avait l'air plutôt angoissée, elle bégayait et regardait derrière elle. La sauvageonne ne comprenait pas pourquoi elle se mettait dans des états pareils lorsqu'elle parlait des "autres". Après tout, les "autres" étaient partout, ils rampaient entre les feuilles mortes, volaient entre les nuages ou couraient parmi les arbres... Si elle en avait peur, eh bien elle allait avoir peur assez souvent. Inquiète de l'état de santé (physique et mental) de la louve, Blanche se leva calmement, sachant qu'il était dangereux de brusquer un animal se sentant menacé. Elle avança tout doucement, les mains écartées et ouvertes, tentant de lui faire comprendre qu'il n'y avait rien à craindre.
Elle remarqua un mouvement au sol, se raidit et observa attentivement la louve. Il y avait quelque chose par terre, et il ne fallait absolument pas qu'elle marche dessus. Pendant qu'elle jetait un autre coup d'œil derrière elle, Blanche bondit en poussant un cri d'avertissement, poussa brutalement la louve sur le côté en passant habilement sous sa griffe noire, et lança un autre cri, de victoire cette fois.

- A-HA! Je le tiens!

À genoux, elle serrait un serpent aux couleurs vives juste derrière la tête, faisant ressortir ses crochets fins comme des aiguilles. Elle fit la grimace en regardant sa gueule, se leva prudemment, histoire de ne pas trébucher et se retrouver bêtement avec une morsure de serpent venimeux et lui attrapa la queue, qui avait une fâcheuse envie de s'enrouler autour de son cou. Elle sortit vite de la caverne, le libéra sans s'occuper des crochets à quelques centimètres de ses doigts, et rentra vite à l'intérieur. Habituée à être seule, elle oublia un instant qu'elle avait une invitée et inspecta rapidement mais soigneusement les fougères et les fleurs de la grotte, au cas où, mais il n'y avait aucune autre bestiole. Aucune bestiole menaçante, en tout cas. Elle finit par se rappeler qu'elle avait emmené quelqu'un ici et la chercha des yeux. La louve n'avait pas franchement l'air moins angoissée. Même en ne sachant pas ce qui la rendait nerveuse, elle tenta de s'expliquer.

- Les autres n'approcheront pas d'ici, celui-là était ici avant moi, et il n'est pas vraiment dangereux, sauf quand on lui fait du mal, quand on lui marche dessus par exemple, mais, sans me... Euh... Sans me vanter, voilà, je suis un peu la bestiole la plus dangereuse de la forêt, sauf des tigres et des loups, ils sont énervants ceux-là, à chasser en groupe, et tout! Pis ça fait mal, tu savais qu'un loup m'a déjà fait une affreuse griffure au bras?... Euuh... Ça va? T'es toute pâle!... Je veux pas dire que je crois que tu vas me griffer, hein! Bien que ta grande griffe noire est plutôt... Effrayante.

Elle ne s'excusa pas pour avoir poussé la louve, n'ayant aucune notion de politesse, mais elle lui tendit sa main pour l'aider à se relever, respirant la confiance et la naïveté. Car après tout, l'hybride noire avait toujours son épée en main.

Blanche, voulant s'approcher mais louchant sur le gros bâton noir à l'air bien tranchant, resta sagement là où elle était pendant que la louve répondait. Elle se rendit compte qu'elle la regardait comme si son interlocutrice allait s'évanouir, et se redressa en clignant des yeux. La féline lui adressa un sourire éblouissant lorsqu'elle lui révéla finalement son nom, "oubliant" un bout de phrase, en baissant sa griffe. Ou plutôt son "épée". Fronçant les sourcils, la sauvageonne réfléchit un instant, puis soupira discrètement. Non, le mot "épée" ne lui rappelait rien, mais au moins, elle savait ce que c'était maintenant, bien que ça reste un total mystère quant à son utilisation. D'accord, ça servait à faire blesser ou à tuer, vu que ça avait l'air tranchant, mais après ? C'était plutôt exagéré comme moyen de chasse, et pas du tout pratique. Blanche en déduisit que ça devait servir à défendre son territoire, ou un truc du genre, et arrêta de s'en faire. C'était un des avantages à être Blanche. Adressant son fameux sourire à la louve en sautillant un peu plus près, elle demanda :

- D'accord, Jeme ! T'as pas l'air d'être... habituée aux serpents, tu t'es perdue ?

Jeme n'avait pas l'air de connaître vraiment la forêt, et Blanche se demandait vraiment d'où elle venait. Des tours qu'on pouvait voir lorsqu'on se perchait sur l'un des champignons géants ? Ou bien d'ailleurs ? Des tas de questions se bousculaient sur ses lèvres, mais elle réussit à en contenir le flot, mais cette fois, elle retint leur flot. Si elle voulait une réponse, il fallait lui laisser le temps de venir. La féline se dirigea d'un coup vers le bassin à moitié rempli d'eau, tout en faisant signe à Jeme de lui répondre quand même. Elle se pencha sur l'eau en se retenant à un stalagmite par le bras, enroulant sa queue en seconde précaution, et plantant ses talons de métal dans la roche, usée depuis le temps que Blanche faisait le même geste tous les jours. Elle allait laper l'eau à la manière des fauves qu'elle avait observés dans la jungle, lorsqu'elle s'immobilisa, le nez levé, les oreilles dressés, un bras pendant jusqu'à toucher l'eau froide. Elle resta ainsi un moment, totalement immobile, penchée en équilibre au-dessus de l'eau claire, puis se rendit compte que la louve l'appelait. Elle avait répondu mais n'entendait pas Blanche, elle s'inquiétait. La féline se redressa sur le rebord en poussant sur son bras et sa queue, le temps de lui dire de répéter et qu'elle était dans les nuages. Sans vraiment cacher son air préoccupé, vu qu'elle n'avait pas l'habitude de parler avec quelqu'un et encore moins de cacher ses émotions à quelqu'un, puis elle se pencha à nouveau, tout en écoutant et réfléchissant. Elle avait cru renifler une odeur étrange, mais tellement ténue qu'elle ne pouvait en être sûre. Bah, sûrement une nouvelle fleur dans la grotte... Elle apaisa donc sa soif, laissant ses cheveux en bataille tremper dans l'eau, en reléguant cette odeur au fond de son cerveau.

Lorsque Jeme termina sa phrase, Blanche tira sur son bras pour remonter du bassin, en s'essuyant la bouche avec son bras libre. Puis elle s'immobilisa d'un coup, les yeux regardant quelque chose d'invisible sur le côté. Ses mains tremblèrent légèrement, pendant que quelques souvenirs se frayaient un chemin dans sa mémoire. La "ville" ?... Des images de rues très fréquentées et de bâtiments en verre et en métal vinrent s'imposer à son regard. Elle ne reconnaissait pas la moitié des objets qui s'y trouvaient. Ça ne lui faisait pas particulièrement mal, mais elle était tellement absorbée, ou même aspirée par ce qui sortait de sa mémoire enfouie qu'elle ne pouvait rien faire. Lorsque sa mémoire n'eut plus rien à lui montrer, Blanche s'aperçut qu'elle était tombée à genoux, qu'elle tremblait et haletait, pendant que Jeme la regardait, assez angoissée. La féline se força à se calmer avant de se lever. Elle sourit courageusement, et tenta d'expliquer à la louve :

-Je... Je ne savais pas ce qu'était une ville avant que tu me dise ce nom, d'un coup, des tas d'images sont arrivées dans ma tête, et... Et...

Sa voix s'éteint, elle cligna des yeux et se rendit enfin compte ce que cela voulait dire. Elle avait vécu dans une ville ! Elle y était peut-être née ! Il fallait qu'elle aille voir là-bas. Peut-être qu'elle trouverait autre chose, un parent, un ami, un autre morceau de sa mémoire... Elle releva la tête et jeta un regard plein d'espoir à sa nouvelle amie.

-Il faut que j'aille là-bas ! Je sais pas du tout ce qu'il m'est arrivé avant que j'arrive ici ! Je sais que je suis allée dans une ville, maintenant ! Je vais te conduire là-bas, et j'y resterais un moment ! Viens, viens !

Aveuglée par la joie d'avoir retrouvé un morceau de sa mémoire, elle attrapa la main de la louve sans se soucier de son avis, et sortit de la caverne en trombe. Elle ne dût qu'à son fin odorat de freiner à temps et de ne pas buter dans... Dans un un gros truc orange. C'était bien ça, qu'elle avait sentie pendant qu'elle était dans le bassin. En tout cas, ça fouette. D'accord, ça avait deux bras et deux jambes,mais ça ne ressemblait décidément pas à... Rien que Blanche ai déjà vu. En plus, il était deux fois plus grand qu'elle et avait des yeux ronds et turquoises plutôt flippant. Pendant un instant, Blanche et le bonhomme orange se regardèrent, immobiles. Puis, le robot presque signé Eggman tenta de l'attraper en lui balançant une main grise et pas vraiment accueillante. Blanche bondit droit vers le ciel, manquant la main qui passa à une dizaine de centimètres du visage de Jeme, fit une petite manœuvre avec ses bottes et atterrit derrière le robot. Elle ne savait pas vraiment quoi faire, n'ayant jamais croisé de bestiole pareille en deux ans, mais elle n'allait pas le laisser attraper son amie. Sans avoir conscience que celle-ci pouvait parfaitement se débrouiller toute seule, elle se propulsa sur la tête du robot, et d'un coup de pied, lui brisa un œil. Elle resta un instant pensive, inconsciente du danger.

*Hmm... Ça se brise, un œil ?...*